Et Kenan est arrivé!

J’ai eu mon fils a 39 ans, c’est assez tard mais je n’avais jamais vraiment eu l’envie d’un enfant auparavant. Ma vie avait été joyeuse et aventureuse, j’ai grandi dans un petit village du Gros-de-Vaud entouré de champs de blé, avec une enfance très heureuse, puis une adolescence sans problème. A la fin de mes études de graphisme je suis partie aux Etats-Unis à 22 ans et j’ai vécu à Los Angeles pendant plus de dix ans, j’ai rencontré des personnes qui venaient du monde entier, j’ai aussi beaucoup voyagé et travaillé, toujours dans un contexte créatif. Puis, de retour en Suisse et approchant de la quarantaine je me suis rendue compte que je risquais de passer à côté de la plus grande aventure humaine: devenir maman. Je suis tombée enceinte très vite et Kenan arrivait 9 mois plus tard. Comme si cela était déjà précurseur de sa future vie, il était en très retard et j’ai du être provoquée. Il est finalement né le 22 décembre. Quel joli cadeau de Noël! Je partage ici ce premier moment. Quand je me suis retrouvée dans la chambre d’hôpital, seule, car son papa était rentré se reposer. J’ai pris ce petit bébé vers moi avec d’infinies précautions et je l’ai regardé. A ce moment-là, c’est comme si j’avais toujours vécu en noir et blanc et que je découvrais la couleur. Ce petit bonhomme a bouleversé ma vie.

Les premières années tout se passait bien. Enfin, à peu près. Kenan n’était pas exactement comme les autres enfants. Il ne parlait pas du tout. Vers ses trois ans je me suis résolue à aller voir un neuropédiatre au CHUV afin d’en avoir le cœur net. Le médecin, M. Sébastien Lebon que je salue ici pour sa gentillesse et son efficacité, m’a dit qu’il écoutait toujours les mamans car leur intuition était souvent juste. A la fin de la visite avec Kenan il m’a annoncé qu’il y avait bien un retard et que je devais prendre des dispositions pour aider son développement. Je suis rentrée et j’ai beaucoup pleuré. Puis j’ai beaucoup lu. En quelques jours, je suis passée de la maman avec un enfant à la maman avec un enfant – qui est différent.

Kenan est allé à la maternelle avec un soutien pendant deux ans, puis son papa et moi nous sommes séparés et Kenan est allé dans une école spécialisée). C’était la meilleure solution pour lui et cela lui permettait aussi de suivre différentes thérapies dans le cadre scolaire. Kenan a grandi. Il a fait beaucoup de logopédie et a commencé enfin à parler. Pour son hyperactivité, de la Ritalin a été prescrite. Puis, comme tous les parents se sont enchaînés thérapies, médecines douces, questionnements, angoisses, difficultés. Le regard des autres, le regard des amis et collègues. Ma culpabilité, ma honte certaines fois – je l’avoue avec difficulté car je m’en suis voulue. 

Bienvenue en Hollande

J’ai découvert ce poème écrit par Emily Perl Kingsley en 1987 suite à la naissance de fils Jason, porteur de la trisomie 21. Il exprime très bien ce que j’ai ressenti.

« On me demande souvent de décrire mon expérience de parent d’un enfant handicapé…

Pour essayer de se rendre compte de cette expérience unique, extraordinaire, pour tenter de comprendre l’effet que cela produit, il faut imaginer…

Imaginer que d’attendre un enfant serait comme de prévoir un fabuleux voyage en… Italie. Tout prévoir, acheter la série complète des guides touristiques, et faire des plans merveilleux : visiter le Colisée, admirer le David de Michelange, voir les gondoles à Venise. Même s’exercer à apprendre quelques phrases d’italien. Se réjouir à l’avance d’impatience.

Après des mois de préparation fiévreuse et joyeuse, le grand jour arrive. On fait les valises et on part. Quelques heures plus tard, l’avion atterrit. L’hôtesse vous sourit et dit : «Bienvenue en Hollande». «Hollande ? – comment ça ? Que dites-vous ? J’ai acheté un voyage en Italie ! J’ai prévu d’arriver en Italie ! Toute ma vie, j’ai rêvé d’aller en Italie !».

Mais il y a eu un changement de plan de vol. L’avion a atterri en Hollande, et c’est là que vous êtes et devez rester. Ce qu’il y a d’important à savoir, c’est que l’on ne vous a pas débarqué dans un endroit effrayant, dégoûtant, horrible, plein de remugles, de disette et de maladies : c’est simplement un autre endroit que celui que vous aviez prévu. Et vous devez aller de l’avant, acheter de nouveaux guides. Apprendre une nouvelle langue. Et vous allez rencontrer tout un tas de nouveaux gens que vous n’auriez jamais rencontrés. C’est simplement un autre lieu. C’est plus tranquille que l’Italie, moins clinquant que l’Italie. Mais peu après être resté quelque temps, et avoir pu reprendre votre souffle, vous vous apercevez qu’il y a plein de choses à voir, qu’en Hollande il y a des moulins, des tulipes. Qu’en Hollande il y a même des Rembrandt.

Simplement, tous ceux que vous connaissez sont occupés à voyager et aller en Italie, ils vous racontent tous à leur retour combien leur voyage a été sensationnel, et tout ce qu’ils ont vu là-bas. Et tout le restant de votre vie, vous vous dites : «Oui, c’est là-bas que j’étais supposé aller. C’est ce que j’avais prévu». Ce chagrin ne disparaîtra jamais, parce que de n’avoir pu réaliser ce rêve-là restera toujours un regret poignant. Mais si vous passez votre vie à pleurer le voyage que vous n’avez pas fait en Italie, vous ne pourrez jamais profiter de toutes les choses merveilleuses et très particulières qu’il vous est donné de voir en Hollande. »

LUCKY AUTIST

Puis les années ont passé. Kenan a continué à grandir et je me rendais bien compte que le fossé entre lui et les autres se creusait. A ses 11 ans nous avons fait un test et le diagnostique d’autisme a enfin pu être posé. Ce fut un soulagement quelque part car ainsi, Kenan avait un mot pour se définir et nous pour expliquer son comportement. Cela m’a permis aussi de trouver de l’aide et de se joindre à des groupes de parents, à trouver des informations.

Le regard des autres ne m’a plus dérangé. En fait, j’ai commencé petit à petit à changer, en voyant comment Kenan évoluait. Son enthousiasme et sa joie de vivre sont un vrai rayon de soleil. Il dit ce qu’il pense, il ne ment pas. Il n’a pas de filtre. J’ai remarqué que ce sont les personnes qui ne sont pas bien centrées, pas bien avec elles-mêmes qui ont un problème avec sa façon d’être. On ne peut pas mentir devant un enfant comme lui, il voit à travers vous. 

Petit à petit, j’ai compris que sa manière de voir était cette différente de la plupart des gens, mais qu’elle était plus belle et plus juste. Je suis fière d’être sa maman. Et je suis absolument convaincue que ces enfants différents sont la réponse à un monde qui va de plus en plus mal. En n’entrant pas dans le moule de la société ces enfants sont à part. Ils sont en marge de ce système de valeur basé sur la performance et la réussite sociale.

Et cela m’a fait réfléchir car après tout, qu’est-ce que je veux pour l’avenir de mon fils? Qu’il soit heureux, tout simplement. C’est finalement ce qui importe le plus et cela, il me le montre tous les jours. 

C’est pour cela que j’ai créé LUCKY AUTIST. Pour montrer que sa vision, est pleine de sagesse et plus juste que celle que l’on veut nous faire adopter. L’accueil de ma démarche a été très positive: les parents d’enfants autistes ou handicapés me félicitent, et chaque partage avec eux et leur enfant me remplit d’une joie profonde. Je rencontre ainsi des personnes fantastiques, engagées et courageuses, cela me donne foi en l’avenir et l’humanité. Il y a beaucoup de bon autour de nous, de belles et bonnes choses!

Le processus créatif!

Le logo est venu du signe de l’infini, souvent associé à l’autisme. J’ai dessiné les lettres suivant ce mouvement et mon mari (toujours inspiré!) m’a dit que cela ressemblait à des lunettes….. le logo est né ainsi. Je lui ai donné ensuite des couleurs vives et joyeuses pour exprimer le côté solaire du logo.

J’ai découvert le lettering, ou l’art de dessiner des lettres il y a deux ans et cela a été un coup de foudre! Cette pratique conjugue mon amour de la typographie et de l’illustration, je peux exprimer beaucoup en dessinant ainsi des slogans. Je crayonne d’abord, en laissant mon intuition me guider, puis je dessine sur ma tablette et lorsque je suis satisfaite du dessin, je le retravaille à l’ordinateur. Cela me prend plusieurs jours et certaines fois je dois laisser le travail de côté pour le reprendre avec un regard neuf et critique.

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